Oeufs en mutation
 
L’oeuf et la genèse
 

La forme du cercle semble avoir une vive connivence avec l’idée d’infini. La forme qui lui correspond le plus dans la nature est celle de l’oeuf... Cette jonction entre l’esprits de deux formes semble avoir été faite de manière récurrente par les anciens... 
Il ne paraît pas y avoir eu d’incohérence à voir dans l’oeuf une sorte de matrice du monde. Cette croyance était-elle basée sur des connaissances astronomiques, sur une intuition ou des connotations de formes ? Sur des expériences et observations pratiques très certainement... Certaines histoires furent inventées pour illustrer, faire vivre ces rapprochements formels. 

La mythologie chinoise raconte l’histoire de l’œuf du monde : au début du monde, le ciel et la terre sont mêlés. Ils forment un œuf d’une seule et même matière. Au milieu de cet oeuf se tient P’an Kou. Il grandit dans l’oeuf pendant dix-huit mille ans. Au bout de ce temps, P’an Kou est assez semblable à un géant. Alors, il s’éveille et, d’un coup de hache, sort de son abri, l’œuf du ciel et de la terre. C’est ainsi que le monde est venu au monde, car le coup de la hache de P’an Kou sépare le ciel, qui s’élève, et la terre, qui s’étend. Dans la pensée chinoise, on analyse souvent les éléments naturels en disant qu’ils sont ying ou yang. L’élément chaud et léger de l’oeuf du monde qui va donner le ciel est l’élément mâle : il est le yang. La partie plus lourde, plus froide de l’oeuf qui forme la terre est l’élément femelle. Il est le Ying. 

La fête des œufs fut commune à presque toutes les nations principalement d'Asie et d'Europe. Elle remonte à l'antiquité. On la retrouve dans les religions et les philosophies des sociétés naissantes, dans la théologie primitive des Egyptiens, des Hébreux, des Chinois, des Perses, des Grecs, des Celtes, et des Latins. 

En Haute-Égypte dans l'île Eléphantine on retrouve les restes d'un temple où était adorée une divinité que les Egyptiens appelaient Keneph ou Emeph, qui veut dire bienfaisant, et dont ils faisaient la cause éternelle de l'univers : elle y était représentée sous forme humaine, pour marquer son intelligence, androgyne, à cause de son indépendance et de sa nature universelle, un épervier sur la tête, pour signifier son activité, enfin avec un œuf sortant de sa bouche, symbole de la fécondité et de la production. 

L’œuf a longtemps été l’objet d’un culte des origines; il a fait l'objet d'une fête particulière, célébrée chaque année à l'équinoxe du printemps. 
Les populations avaient pour usage d’offrir au dieu de la création, des œufs peints en rouge, emblème du feu et de la lumière. 
Si, dans le culte rendu anciennement aux œufs , l'oeuf de poule occupait le premier rang, les œufs des divers autres animaux étaient également utilisés. Les œufs de serpents, entre autres, étaient très appréciés par les Druides, qui voyaient le serpent comme une émanation de la terre, comme son messager spirituel. 

 
Du temps des premiers chrétiens on continuait de consacrer les œufs, toujours symbole de fécondité de la nature en général, et de celles des familles en particulier. On s'offrait réciproquement en présent, entre amis, entre parents, ces œufs teints.

De ce fond culturel commun dans lequel l’oeuf apparaît comme le principe de toutes choses (ou au moins toutes choses comme prenant naissance dans un oeuf) est sans doute surgit cette question proverbiale: 

« Lequel a été le premier de l'oeuf ou de la poule ? » Question qui a donné lieu à de longs débats (de table) mais dont la question de fond, philosophique portait sur la conception des origines: Vossius parmi les modernes, et Plutarque dans l'antiquité, ont longuement traité la question. Ainsi Plutarque en a fait le sujet d'un chapitre de ses « Symposiaques », ou « Propos de table ». 

Il y raconte, que lors d’un banquet, cette question, surgie de la conversation, a été alternativement débattue par les convives : Plutarque a prétendu que l'oeuf étant l'élément primitif, doit être avant la poule qui en procède ; que le contenant est avant le contenu, et l'oeuf avant ce qui en est formé : « Celui-là, pour corroborer ce sentiment, ajouta que non seulement la poule, produit de l'oeuf, ne peut pas le précéder, mais que selon Orphée et l'opinion reçue , l'oeuf du monde, l'oeuf universel, contenant en lui-même le principe de toutes choses, la poule, comme tout le reste, en avait fait partie ; que la partie ne pouvait exister avant le tout, et l'objet créé avant le générateur, etc., etc ; qu'ainsi l'oeuf était avant la poule. D'autres, au contraire, ont soutenu que l'oeuf, même l'oeuf universel d'Orphée, avait été engendré par une puissance génératrice, antérieure à lui-même ; que si de cet oeuf étaient sortis tous les êtres, ils en étaient sortis tout organisés et portant en eux-mêmes la faculté de se reproduire ; et qu'ainsi, au lieu que la poule soit partie de l'oeuf ou soit engendrée par l'oeuf, c'était au contraire l'oeuf qui était partie de la poule et produit par elle, etc., et par conséquent la poule était avant l'oeuf. » Conclusion adoptée par Plutarque. 

En tous cas on pourrait dire que l’oeuf correspond à une époque de l’enfance de l’art si on peut parler de cycle.

"L’oeuf au chapeau grillage" pourrait donc se regarder entre autres comme une variante de cette question des origines. L’idée serait qu’un oeuf-matrice (grillagé c’est à dire aux formes ténues, expansives, fantomatiques) tiendrait lieu d’une poule (ou si l’on veut de principe générateur). Si on « lit » les formes de bas en haut on peut aussi considérer que la réciproque est vraie : l’un et l’autre des œufs sont le produit et l’avenir de l’autre. 
Les proportions de mon oeuf sont exagérées et ne correspondent à aucun animal connu aujourd’hui. Peut-être peut-on tout au plus l’associer à un oeuf de dinosaures pour simplifier. 

L’oeuf au chapeau grillage fait une cinquantaine de centimètres de haut, une quarantaine de large... 
L’ensemble de l’installation prend un mètre de haut et 70 cm de large. La base, qui sert de socle, est en fait le fruit de l’enroulement d’une bande de polystyrène d’environ 15 cm de large et cinq centimètres d’épaisseur. Ce socle improvisé, lorsque posé à plat, forme une sorte de roue allégée dont le centre évidé propose un espace vide dans lequel l’oeuf peut se caler comme dans un nid artificiel. Ce socle figure en quelques sorte un tourbillon originel concentré. 

Tapiès, Miro, Brancusi font partie des sculpteurs ayant creusé cette question de l’oeuf.